L'EMPIRE DES FILS DE POSÉIDON - CHAPITRE III.

*
– Il est réveillé ! Il est réveillé !
Les exclamations de sa petite sœur achevèrent de tirer Magon hors des brumes du sommeil. Tout en reconnaissant le décor familier de son modeste foyer, l’adolescent se redressa en grimaçant. Un bandage lui enserrait le haut de la cuisse. 
– Tout va bien, lui dit doucement une voix féminine.  Ce n'est pas très grave.
Angénora, sa mère, se tenait à son chevet. Malgré son grand sourire, Magon sentit immédiatement au ton de sa voix combien elle était avait eu peur pour lui.
– Qu'est-ce... Qu’est-ce qui s'est passé ?
– Une murène t'a attaqué et tu as failli te noyer... Heureusement que ton père était là, ajouta-t-elle avec émotion en le prenant tendrement dans ses bras. 
– Moi aussi, je veux un câlin ! 
Avec toute l’énergie et l'innocence de ses cinq ans, Poéné descendit de son hamac pour se jeter au cou de son frère.
– Poéné, attention !
– C'est bon, maman, la tranquillité Magon en se décalant pour permettre à la fillette de s'installer à côté de lui. 
– Elle était grande comment ? 
– Comme ça ! répondit-il en écartant les bras et en attrapant sa petite sœur qui poussa un cri d'effroi ravi tandis qu’une ombre faisait son apparition sur le pas de la porte.
– Je vois que tout le monde s'amuse bien ici.
D’un pas vif, Hopléus entra et traversa la petite cabane qui, grâce à une astucieuse optimisation de l'espace, servait à la fois de lieu de vie pour toute la famille et de remise de pêche. L’aspect pratique primait avant tout sur l’aspect décoratif mais, au milieu des filets, hameçons, amphores, plats en argile, ustensiles de cuisine et autres vêtements et objets du quotidien, une tenture accrochée au mur et quelques guirlandes de coquillages pendues au plafond conféraient à l’habitation l’image d’une maisonnée heureuse dans laquelle il faisait bon vivre.
– Papa ! Je… Je suis désolé… s’excusa aussitôt Magon. 
Pour avoir malheureusement déjà perdu beaucoup trop d’amis à cause d'elle, Hopléus connaissait les dangers de la mer mieux que personne. Ainsi, depuis que son fils cadet était-il en âge de l’accompagner au large, n’avait-il cessé de lui répéter de toujours faire montre d’une extrême prudence à son contact, qu’il fût sur ou sous sa surface. Mais Magon était un incorrigible rêveur, un adolescent qui n’en faisait qu’à sa tête. Tout ce qui rentrait par une oreille en ressortait aussitôt par l’autre. Pour ne rien arranger, son incroyable agilité dans l’eau l’incitait à constamment repousser ses limites, sans se soucier du danger. Et cette fois, il s’en était vraiment fallu d’un cheveu. Afin de marquer le coup, Hopléus avait d’abord pensé le réprimander cette fois avec une extrême sévérité. Mais en les voyant maintenant tous les trois blottis les uns contre les autres, il n’en eut plus la force : sa famille était réunie et tout était bien qui finissait bien, n’était-ce pas là le plus important ? 
– Tu as eu de la chance. Beaucoup de chance. Combien de fois t’ai-je pourtant répété qu’il faut toujours…
– … se tenir sur ses gardes, oui…
Même si le père et le fils entretenaient d’excellents rapports et une belle complicité, il était rare qu’Hopléus se laissât aller à des démonstrations d’affection. Il fit toutefois exception et, dans un élan qu’il ne chercha pas de réfréner, passa sa main dans les cheveux de Magon :
– Espérons que cela te serve de leçon une bonne fois pour toute. Je ne serai pas toujours là pour te repêcher... Comment tu te sens ? Tu peux marcher ?
Telle la foudre, sans laisser à Magon le temps de répondre, le courroux d’Angénora s’abattit avec fracas :
– C’est trop tôt ! cria-t-elle en lançant un regard outré à son époux.
– Mais la fête va bientôt commencer !
– Tant pis !
– Ne dramatise pas, sa blessure n’est que superficielle.
Angénora leva les yeux aux ciel : 
– Et voilà, comme d’habitude, c’est encore moi qui ai le mauvais rôle… Pardonne-moi de me préoccuper de sa santé !
– C'est moi l’archonte, c'est moi qui décide ! rappela Hopléus en faisant l’erreur de hausser la voix.
S’il était en effet indéniable qu’Hopléus était le chef du village, son autorité s’arrêtait toutefois sur le palier de la cabane, à l’intérieur de laquelle Angénora régnait en maître.
– Et moi, je suis sa mère ! riposta celle-ci en menaçant son époux du doigt. C’est le seul fils qu’il me reste, il doit se reposer !
Hopléus se radoucit : 
– S'il te plaît, je pars demain. Il est important que vous soyez tous avec moi ce soir.
Depuis le temps que Magon attendait l’événement, il était hors de question qu’il restât alité alors que tout le village allait s’amuser. Pendant que ses parents se disputaient, il posa donc un pied par terre et se mit debout. Sa jambe lui faisait un peu mal mais la douleur restait supportable.
– Je veux y aller.
– Hors de question ! Tu es encore faible.
– Maman, tout le monde sera là-bas... Je te promets de faire attention.
Tout en sachant très bien ce qu'il faisait, Magon plongea ses grands yeux noisette dans ceux de sa mère qui, une fois de plus, ne put résister à leur charme:
– Vous ne valez pas mieux l'un que l'autre... Très bien, comme vous voulez… abdiqua-t-elle finalement. Mais plus de sorties en mer avant une semaine, nous sommes d'accord ?
– D'accord ! répondirent Magon et Hopléus en l’embrassant de concert sur les deux joues.
Angénora rougit illico. Ces deux-là n’arrêteraient décidément jamais de lui en faire voir de toutes les couleurs.

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